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Etienne Forcadel, “Voyant Caton, Romain preux et illustre”, 1551

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« De Caton. »

Introduction

Étienne Forcadel est né vers 1519 et mort vers 1578. Juriste et enseignant le droit à Toulouse, il écrivait aussi de la poésie à la même époque que la génération dite de la Pléiade. Mais il ne renie pourtant pas des genres poétiques qu’ont pu pratiquer des poètes de la génération précédente ou des concours de poésie, comme les Puys, auxquels ils participaient. Dans Le Chant des Sirènes, l’un de ses recueils paru en 1548, on retrouve des poèmes de différents types, dont des épigrammes, genre qui nous intéresse dans cette anthologie. Le recueil contient aussi une traduction de Théocrite, un auteur grec d’idylles et de pastorales notamment, ce qui montre l’intérêt de la Renaissance pour l’Antiquité et sa culture. Le dizain qu’on lira ci-dessous, et qui est pous sa part extrait du recueil Poësie paru en 1551, manifeste également le goût de Forcadel pour la culture antique puisqu’il met en scène un personnage historique : Caton d’Utique.
Ce Caton, qu’on appelle aussi parfois Caton le Jeune, ne doit pas être confondu avec Caton l’Ancien, son grand-père. Il s’agit d’un homme politique romain mais aussi d’une figure majeure du stoïcisme, célèbre pour son intégrité et représentant souvent la résistance (sur cet aspect, voir l’article d’Emmanuel Lazayrat, “Caton d’Utique : résister jusqu’à la mort”, 2015) : à la suite de la prise de pouvoir de Jules César, il décida de se suicider avec son épée, ne voulant pas survivre à la liberté. Le poème reprend cet épisode antique du suicide de Caton d’Utique, en le mettant en valeur puisqu’il est décrit de manière méliorative (« preux et illustre »), contrairement à Jules César qui est désigné comme le « Tyrant de Rome » et aux autres sénateurs qui préfèrent se rallier à lui (« Vers le vainqueur (comme maints) n’est allé »). C’est donc son intégrité et sa loyauté à ses idéaux qui le distinguent des autres et le rend supérieurs à eux.
On pourrait penser que cette reprise d’un événement antique mettant en scène une opposition à un “Tyrant de Rome”, fait écho à un événement contemporain : « la crise Gallicane » qui se produit précisément en 1551, année de parution du recueil Poësie. En effet, le roi de France Henri II s’opposait alors au Pape de l’époque, Jules III et ce pourrait alors être pour Forcadel une façon détournée de faire référence à l’actualité.
Toutefois il convient d’être prudent avec cette interprétation car la comparaison a ses limites. Tout d’abord il n’est pas du tout question de religion dans le texte de Forcadel et, surtout, la voie de la vertu choisie par Caton passe par sa propre mort. Or, si choisir de mettre fin à ses jours pouvait être valorisé dans l’Antiquité, en revanche se tuer est condamné par les  chrétiens qui considèrent que le suicide est un péché. On ne peut donc penser que Forcadel donne avec Caton, même s’il le présente de façon élogieuse, un modèle à imiter au présent. Enfin, l’affrontement entre deux chefs d’état – le roi de France et le pape – n’est pas exactement comparable à celle d’un homme politique mécontent du régime politique de son propre pays, comme l’est Caton d’Utique. Mieux vaut donc sans doute considérer que cette épigramme a simplement pour visée de rappeler un événement marquant de l’histoire romaine, admirable certes mais à la valeur exemplaire tout de même très ambiguë.

Texte

Voyant Caton, Romain preux[1] et illustre,
Le saint Senat par Cesar violé,
Voyant souillé par armes son beau lustre[2],
Vers le vainqueur (comme maints[3]) n’est allé.
Quand maugré soy[4] il se vid[5] appellé
Il ayma mieux de son glaive pointu
Fraper son cœur de force revestu,
Que de ses yeux voir le Tyrant de Rome.
“Mourons”, dit il, “un mourir en vertu
Fait libre et cler[6] tout le vivre de l’homme”.

Source : Poësie, 1551.

Notes

[1] “Pourvu des qualités chevaleresques ; en particulier, plein de bravoure” (définition du TLFi) capable de prouesses (mot de la même famille).

[2] “Au figuré, éclat, relief que confère (à une personne, un peuple, une œuvre) une qualité particulière, une valeur positive” (définition du TLFi, lustre2).

[3] Comme beaucoup (au contraire de lui) l’ont fait.

[4] Malgré soi.

[5] Autre graphie possible au XVIe siècle pour le verbe “voir” (qui vient du verbe video, en latin) à la 3e personne du singulier du passé simple : “il se vit”.

[6] Autre graphie possible au XVIe siècle pour “clair” : il faut comprendre ici cet adjectif comme le latin præclarus, c’est-à-dire au sens de brillant, lumineux, rayonnant et, de ce fait, remarquable et illustre.

Charles Le Brun, La Mort de Caton d’Utique, 1646 [Source : Musée du Louvre, Département des Peintures, INV 2893]

Questions

  1. Repérez le type de vers et le schéma de rimes utilisés dans cette épigramme.
  2. Réécrivez le texte, en en respectant l’ordre et toutes les étapes, mais dans un français actuel, en un paragraphe en prose et dans un niveau de langue courant.
  3. Sur quelle opposition est structurée l’épigramme ? Comment s’exprime cette opposition ?
  4. Expliquez de quelle manière les deux derniers vers se détachent du reste de l’épigramme. Quel effet produit cette fin ?

Lectures complémentaires

On trouvera ici les références de quelques textes littéraires qui mettent en scène Caton d’Utique ou sa fille Porcie.

  • Étienne Forcadel, « De Portia fille de Caton », Poësie, 1551.
    [dans le recueil, ce poème suit immédiatement celui qui est présenté ici]
  • Robert Garnier, Porcie,1568 (tragédie). 
  • François-Michel-Chrétien Deschamps, Caton d’Utique, 1715 (tragédie).

Bon à savoir

Le stoïcisme

École de philosophie fondée à Athènes durant l’Antiquité qui considère que, pour atteindre le bonheur, l’Homme ne doit pas se laisser contrôler par ses passions et doit tenter de comprendre le monde et le rôle qu’il y joue. La peur de la mort, comme toute autre passion, n’a pas de raison d’être pour un stoïcien puisque la mort est une chose naturelle mais également parce que tant que nous sommes vivants, la mort n’existe pas et que quand elle est là, nous ne sommes plus. Le stoïcisme se développe aussi dans l’Empire romain, ses représentants latins les plus connus sont Sénèque (Lettres à Lucilius), Epictète (Manuel) et Marc-Aurèle (Pensées pour moi-même).

  • Pour aller plus loin : une série d’émissions sur les Lettres à Lucilius (France Culture).
La question du suicide, de l’Antiquité à aujourd’hui

Pour aller plus loin sur cette question philosophique et réfléchir à ses implications actuelles, on peut visionner ces deux conférences de Bertrand Quentin. Attention, elles sont plutôt destinées au départ à des étudiants en médecine.

1. “Comment les Stoïciens ont pensé la mort ?”, conférence du séminaire “Ralentir travaux”, 22 novembre 2016. 

2. “Les Stoïciens et les fins de vie d’aujourd’hui”, conférence du 21 novembre 2017.

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Maxime Corneloup (16 février 2021). Etienne Forcadel, “Voyant Caton, Romain preux et illustre”, 1551. Fleur des Tanneurs. Consulté le 6 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/opgd

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